Zoom sur nos coopérateurs #3

Carte Blanche, la cantine locale et citoyenne

Mycéliandre, Justin AUDINO
Odoo • Image et Texte

Zoom sur nos coopérateurs #3

Carte Blanche, la cantine locale et citoyenne


Romain Marion et son équipe partage ses expériences et transmet sa vision du vivant à travers la restauration collective.

                                                    Pour ceux qui l'ont fréquentée, la cantine reste un souvenir que les grands enfants gardent longtemps en mémoire, pour le meilleur... et pour le pire. Un temps de partage avec ses camarades, suspendu au milieu de la journée, une pause bien méritée en attendant de reprendre les cours. Mais la cantine laisse aussi parfois un goût amer : légumes fades et en bouillie, viandes indéfinissables qui baignent dans des sauces peu ragoûtantes... à se demander quels sont ces produits qui entrent dans la composition des menus. Pas facile quand on est en pleine découverte du monde, de se familiariser à de nouvelles recettes ou à des produits encore inconnus. Or s'il y a un endroit où l'éducation est une question sérieuse, c'est bien à l'école : la cantine semble un terrain encore assez peu exploité.

                                                    C'est en se penchant sur les repas servis, poussés par les impressions mitigées rapportées par leurs enfants, qu'une association de parents d'élèves a commencé à se poser des questions. Bio, produits locaux ou de saison, surgelés, conserves ou produits frais... Mais que sert-on exactement dans les assiettes des enfants ? Malgré plusieurs rencontres avec les prestataires de repas, aucune réponse précise derrière des menus qui semblent pourtant appétissants et diététiques. Plusieurs fournisseurs se sont succédés... Un détour par la cantine pour un repas test a fini de convaincre les parents qu'il était temps d'agir.

                                                    C'est en 2017 qu'ils font la rencontre de Romain, un cuisinier de métier au parcours atypique : d'abord formé en restauration gastronomique, second en étoilé Michelin, puis directeur des restaurants de la Saline royale à Arc-et-Senans, il décide de mettre à profit son savoir-faire culinaire au service de la restauration collective. Il devient peu à peu convaincu que c'est par cette voie que la passion pour la bonne cuisine, le recours aux produits en circuits courts et le plaisir à table représente son plus grand défi.

                                                    Collectivement, parents, cuisinier, associations d'éducation populaire et communes rurales, décident de créer une cantine aux ambitions à la hauteur des nouveaux enjeux de santé, d'environnement et de relocalisation des productions. La cuisine Carte Blanche voit le jour au tout début de l'année 2019.

                                                    La saison agricole d'hiver pour démarrer l'activité n'est pas propice et pourtant, de nombreux ingrédients sont tout de suite issus de productions locales : entre autres viandes bovines comtoises ou porc de montagne IGP élevé au petit lait de Comté, il y a bien sûr les fromages d'appellation à la coupe. Finis les fromages industriels en sachets individuels. En Franche-Comté, il y a du choix. Entre septembre et décembre 2020, 30% des produits sont d'agriculture biologique, 33% sont régionaux et 62% des ingrédients répondent aux exigences de la loi EGalim. Qui dit mieux ?...

                                                    La cuisine tisse également un lien étroit avec les Jardins Bio des Monts de Gy en Haute-Saône, une association de maraîchage qui produit des légumes de saison en quantité suffisante, et qui prend sa part dans l'embauche de salariés en fragilité sociale. Livrés deux fois par semaine, les fruits et légumes frais sont lavés, coupés puis cuisinés, et enfin compostés, tout comme à la maison : il n'y a que les quantités qui changent. Car c'est une grande famille à nourrir : après Geneuille puis Cussey-sur-l'Ognon, c'est au tour de la commune de Grandfontaine de rejoindre l'aventure. La cuisine sert aujourd'hui quotidiennement 250 repas scolaires, en maternelle et en primaire. Deux embauches à temps plein en plus du Chef, font tourner le service entre la cuisine, les livraisons et les opérations de nettoyage minutieux. L'embauche d'un salarié reconnu travailleur handicapé est à l'étude, ainsi qu'un équivalent temps plein supplémentaire lorsque la cantine aura atteint son rythme de croisière à 500 couverts par jour d'école. La valorisation du sens donné au travail est au coeur des préoccupations : la cantine Carte Blanche rejoindra le réseau de l'économie sociale et solidaire par sa conversion en SCOP en avril 2021. Une diététicienne partenaire du projet vise les menus et élabore le plan de diversification des protéines, pour proposer des menus végétariens calibrés et savoureux. Un laboratoire d'analyses indépendant veille à la qualité sanitaire de la production.

                                                    Une grande partie des recettes sont réalisées maison. Les couleurs, les saveurs et la diversité des recettes font de nouveau de la cantine, un moment convivial et attendu. Ni le personnel pédagogique, ni les enfants voudraient voir la cantine être autrement que ce qu'elle est aujourd'hui devenue, grâce à l'énergie du collectif.

                                                    Carte Blanche, c'est d'abord un laboratoire d'expérimentations : par son format à taille humaine (quelques communes rurales qui mutualisent un service personnalisé), l'organisation de la production offre l'avantage d'une certaine souplesse. Ainsi, de nombreuses actions ont été menées depuis la création, et des projets innovants sont programmés. Animations cuisine avec les enfants, mais aussi avec les personnes âgées ou isolées ; ventes solidaires au profit des associations de parents, résidences culturelles en territoires ruraux, distribution bénévole de paniers de producteurs locaux partenaires de la cantine au premier confinement... Aménagé dans un atelier vieux de 20 ans, quelques travaux d'aménagement sont à prévoir, et notamment pour accueillir prochainement un espace de formation et de promotion dédié à l'alimentation durable.

                                                    Du côté écologique, un composteur pédagogique est en cours d'installation, en partenariat avec une association locale spécialisée. Des actions d'impact de la production, notamment par l'analyse des rejets chimiques, ont permis de remplacer les produits professionnels les plus polluants par des alternatives plus respectueuses de l'environnement. Les barquettes jetables en plastique, bannies, ont été remplacées par des plats réutilisables en inox. Un plan de lutte contre le gaspillage est programmé pour le printemps 2021 avec les enfants et les animateurs, ainsi qu'une sortie pour rendre visite au pisciculteur fournisseur de la cantine, pour contextualiser les productions locales et les sensibiliser à la fragilité des écosystèmes.

                                                    Avec tout l'engagement porté par la cantine Carte Blanche, la rencontre avec la SCIC Mycéliandre s'est faite tout naturellement. Le partage d'une culture commune, d'une authentique volonté d'agir et d'accompagner une transition écologique et sociale bienveillante, a sonné comme une évidence. Un premier partenariat est en cours pour développer un outil numérique pour une gestion en cuisine plus éthique, ergonomique et simplifiée. Cet outil (basé sur Odoo) est pensé pour s'adresser à un maximum de professionnels et collectivités, sur la base d'un logiciel libre de droits, et pour évoluer à mesure des contributions des futurs utilisateurs. La promesse d'une initiative généreuse, à la hauteur de ces deux archipels du monde d'après !


                                                    La preuve que tout est possible, à condition d'accepter d'en payer le prix. Une formidable aventure de citoyens qui n'attendent plus le changement : ils sont le changement !

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